Les ondes sonores qui, de la corde vibrante, sont transmises directement à l’air, et ainsi à notre oreille, sont en soi d’une intensité extrêmement faible. Pour l’obtention d’un son musical plein, qui porte, la vibration doit d’abord être communiquée à une masse vibrante plus grande, à un corps sonore. On distingue, selon leur capacité à conduire le son, deux sortes de corps sonores : ceux qui ne résonnent qu’à des fréquences bien déterminées (on parle alors de résonance libre) et ceux qui réagissent à toute vibration (résonance forcée). A ces derniers appartiennent l’air, l’oreille humaine et précisément la table d’harmonie du piano. Cette table d’harmonie ne doit pas amplifier ses propres vibrations, mais réagir de même manière à toutes celles allant de 27 à environ 6000 hertz. Elle renforce les sons partiels isolés de différentes façons : la qualité de la table d’harmonie est donc aussi d’une importance décisive pour la beauté de la sonorité.
La vibration de la corde est transmise à la table d’harmonie (et également, lorsque la pédale est enfoncée, aux cordes résonnant sympathiquement) par l’intermédiaire du chevalet.
Cette relation a une grande importance. Afin qu’elle soit très intime, le chevalet doit exercer sur la table d’harmonie une certaine pression supportable pour cette dernière et que l’on peut calculer en fonction de la tension des cordes et de l’angle existant entre les sections vibrante et non vibrante des cordes (de part et d’autre du chevalet). Cette pression est considérable, elle atteint 2,3 kg par cm pour les cordes moyennes. Elle ne pourrait pas être supportée uniquement par une table d’harmonie de 7 à 9 mm d’épaisseur. C’est pour cette raison que sont collées et en partie vissées au dos (sous la table pour le piano à queue), perpendiculairement aux fibres du bois, des barres espacées de 7 à 12 cm. Ces barres jouent encore un autre rôle important : avant d’être collées, elles ne sont pas tout à fait droites, mais cintrées, et donnent ainsi à toute la table d’harmonie cette tension qui la rend capable de vibrer. De la pression du chevalet et de la contre-pression de la table résulte un équilibre très précaire, et l’une des tâches les plus importantes dans la facture de pianos est de lui assurer un effet optimal et durable. Le relâchement de la tension de la table, son aplatissement au cours des ans, contribue au vieillissement et à la détérioration d’un instrument. Ce processus intervient assez tôt pour de nombreux pianos, plus tard pour d’autre, construits avec plus de soin; on ne peut hélas prévoir comment un instrument neuf se conservera.
Naturellement, le matériau de la table d’harmonie joue aussi un rôle capital. Le choix du bois est donc important. On utilise de l’épicéa à cercles annuels serrés, sans nœuds, qui croît de préférence entre 800 et 1800 m d’altitude, et que l’on débite dans le sens des rayons médullaires Les bois présentant des fibres irrégulières ou trop courtes sont éliminés. Sur 4 à 5 m3 de bois de résonnance, on ne conserve que 1 m3. Ce bois doit d’abord être séché suivant un processus naturel qui s’étend sur plusieurs années, complété finalement, avec beaucoup de prudence, par un séchage artificiel. Les éclats de bois (planches de 8 à 12 cm de largeur) sont ensuite sélectionnés et collés selon la finesse des cercles annuels (les plus serrés pour le dessus, les plus larges pour la basse), le son qu’ils rendent lorsqu’on les frappe, et leur teinte. Comme la proportion d’absorption par rayonnement et d’absorption par déperdition, c’est-à-dire l’absorption du son voulue, due à l’air, et l’absorption non désirée, par suite de frottements du matériau, est plus avantageuse dans le sens de la longueur des fibres, la table d’harmonie est placée dans l’instrument de manière que les éclats les plus longs soient disposés en diagonale en partant des cordes les plus aiguës.
Les chevalets sont collés sur un seul éclat et on amincit volontiers la partie qui repose sur la table d’harmonie pour accroître la pression qu’ils exercent sur celle-ci, ainsi que pour d’autres raisons. Le chevalet des basses qui, à cause de la longueur des cordes, devrait être situé tout au bord de la table d’harmonie, où il n’agirait que très peu, est parfois placé, dans les constructions ingénieuses, en un endroit plus favorable de la table, sans que pour autant la dimension totale de l’instrument en soit augmentée.
Le profane a souvent une opinion fausse quant à l’importance de la grandeur de la table d’harmonie. La qualité de la table, le soin apporté au choix et au travail du bois sont plus importants que la grandeur. Il convient aussi de noter que la surface sonore d’un piano à queue de petites ou moyennes dimensions n’est nullement supérieure à celle d’un piano droit moyen, et souvent même inférieure. Un piano à queue de 2 m de longueur a une table de 1,5 m2 à peine, environ la même surface qu’un piano droit de 1,3 m de hauteur. Les avantages du piano à queue résident dans d’autres domaines, dont nous parlerons encore.